ENTRE CHIEN ET LOUP

PHOTO DE TITREUn JU88 avant son départ en mission (Crédit photo Chris Goss)

 

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Toulouse, 7 Mars 1944

La Luftwaffe s’entraine dans le Sud de la France ; Bien qu’éloignée du front, elle commence à être harcelée par la Royal AirForce. Deux mois plus tôt, trois Junkers88 de l’escadrille KG76 ont été abattus ou touchés par des Mosquito venant de Sardaigne (voir l’autre article sur les JU88). 

A cette période, comme le dit Chris Goss : « le moral des équipages de l’escadrille ZG1 (ZG1  = « ZestörerGeschwader » 1 , escadrille d’attaque N°1, spécialisée dans la chasse de nuit) est au plus bas et la perte d’hommes expérimentés quasiment à chaque fois qu’une victoire est remportée n’est guère fait pour le remonter. Combien de temps reste-t-il alors aux équipages de la ZG1, personne ne peut alors le dire mais le futur semble de plus en plus compromis ».

Ce soir-là, le Junkers 88 C-6 de l’escadrille ZG1 numéro de série 750814 s’entraine au vol de nuit et arrive de Bordeaux; 

Ce JU88 de type C-6 est une version équipée spécifiquement pour la chasse de nuit: le nez vitré à l’avant du fuselage a été remplacé par trois canons plus trois mitrailleuses, et un radar de type Fug «  Lichtenstein » permets le repérage des bombardiers anglais la nuit. 

Aux commandes, un équipage de trois hommes: Heinz Döhler,  Friedrich/Fritz Gargulak et Ernst Bongers. 

En approche sur  Toulouse, l’avion survole les coteaux Sud de Toulouse, et se prépare à l’atterrissage. 

Soudain, pour une raison inconnue, l’avion s’écrase, à quelques kilomètres du seuil de piste, dans un champ. L’appareil est pulvérisé, il n’y a aucun survivant. 

Dans les jours qui suivent, les allemands évacuent ce qui reste de l’appareil. 

Dans la mémoire locale, des souvenirs de cet événement subsistent et vont traverser les années. 

 

L’enquête sur le terrain. 

C’est en partant de ces souvenirs et de la tradition orale que notre travail commence. Des témoignages concordants nous confirment un crash d’avion allemand:

http://www.ladepeche.fr/article/2009/01/13/522413-colomiers-francois-monfraix-j-ai-vu-leurs-corps-disloques.html

ainsi que l’emplacement où l’avion est tombé. 

Le long travail administratif préalable est lancé : trouver le propriétaire du terrain et avoir son accord, obtenir toutes les autorisations adéquates etc…  Ceci étant fait, la recherche elle-même peut commencer. 

 

Des pièces qui parlent

Les pièces découvertes sont nombreuses, et on peut facilement les ramasser à la main ! (photo 1)

Malheureusement elles sont en très mauvais état, pour deux raisons : (i) l’avion s’est écrasé, et a donc été pulvérisé (ii) le champ a été (et est toujours) labouré, il n’y a rien de pire pour les pièces car le soc des charrues les tord, les broie, et les abime irrémédiablement.

Néanmoins, certains fragments présentent un intérêt indéniable. 

Les pièces retrouvées 

Un gros travail de nettoyage et de tri doit être fait. Une fois les pièces sans intérêt mises de côté (photo 2), nous pouvons examiner les pièces les plus parlantes :

Celle-ci avec un marquage nous confirme le type avion « 88 » pour Junkers88 (photo 3)

Des fragments de plexiglass provenant de la verrière (photo 4), un connecteur avec un marquage indiquant son « part Number » (numéro de pièce) (photo 5), un morceau de porcelaine provenant d’un isolateur (photo 6), une pièce rouge a conservé son éclat d’origine (photo 7). 

Puis, un fragment met en évidence un plan électrique (photo 8), des douilles apparaissent (photo 9), de deux calibres différents, confirmant la présence de canons de 20 mm (MG/FF/M) et de mitrailleuses de 7,92mm (MG17 ou MG81).

Des éléments portent encore le camouflage d’époque (photo 10 et 11) : bleu (sous l’avion) et gris foncé (sur le dessus de l’avion), et certaines pièces grâce à leur marquage peuvent  être identifiées avec précision, tel ce crochet (photo 12) dont l’analyse grâce au marquage (photo 13) montre qu’il servait à verrouiller les capots moteur (voir plan : 14). 

Enfin, une boucle qui faisait partie du harnais d’un des navigants (photo 15);

 

L’analyse historique. 


Une recherche locale (du porte à porte), nous a mis en contact avec une personne âgée, qui notait tout pendant la guerre sur son carnet. On retrouve bien le JU88 abattu deux mois plus tôt, le 6 Janvier : « J (pour Jeudi) 6 : un avion abattu (boche) à 19H30 »

mais l’on découvre aussi « notre » JU88, à la date du 7 Mars 1944 : « M (pour Mardi) 7 : un « symbole croix gammée » à fxxourville, grillé - à 20H30 – DCA à 23H30 . 

La date du crash ainsi validée, nous partons sur internet (site « 12o’clockhigh ») à la recherche d’informations et nous obtenons rapidement la validation du type de l’avion (JU88 C6) et les noms des membres d’équipage. 

Chance inouïe : un de nos correspondants nous envoie un extrait de rapport anglais « ULTRA » qui était le   déchiffrage d’un message allemand codé par  la machine Enigma, (à ce sujet un excellent film : « imitation game »). Cet extrait concerne ce Junkers88 et confirme nos informations ; 

«From ZG1 Technical Officer 8/3, 

Off strength Third / ZG1, JU88 C-6, works N° 750814, 

Crashed 100% on night training » 

 

Traduction 

“émetteur: officier technique de l’escadrille ZG1, le 8 Mars (1944)

avion de type Junkers 88 C-6, numéro 750814 (« Werk Nr »= numéro de série) de la troisième escadrille de la ZG1 rendu indisponible, 

Crash durant un vol d’entrainement, avion détruit à 100% » . 

Enfin, Internet n’a pas fini de nous surprendre : la photo de l’un des membres d’équipage nous est envoyé, c’est en fait le faire part de décès de Friedrich Gargulak, âgé de 22 ans,  que vous pouvez voir ci-dessous. 

En partant de témoignages locaux, nous avons réussi à trouver des pièces et à les faire parler, à reconstituer un fait de guerre, mettre un visage sur un membre d’équipage  et faire ainsi revivre la mémoire de navigants oubliés depuis plus de soixante-dix ans ;

 

Gilles Collaveri

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Remerciements : Thierry Dekker (profil avion), Philippe Dufrasne (rapport ULTRA), Thomas Genth, Dan Gilberti, Chris Goss, Eric Rota, Lino Von Gartzen, Britta Von Rettberg ;