ET LE CONDOR TOMBA

 

ILLUSTRATION DE TITRE
avec l'aimable autorisation de Roden

« un avion historique »

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Début 1939. La guerre d'Espagne touche à sa fin et l'Allemagne a envoyé des avions pour soutenir la cause franquiste : la « légion Condor ». Pilotés par des équipages allemands, des Junkers 52, des Heinkel 111, ou des Messerschmitt 109 volent pour le compte de l'Armée de Franco.
Dans la soirée du 25 Janvier 1939, près de Perpignan, un Heinkel 111 de la Légion Condor est pourchassé par des chasseurs républicains. Fuyant devant eux, il franchit la frontière française. Il porte le numéro 25-12, il est piloté par Claus Bötker, et le reste de l'équipage est composé de l'Uffz.(sous-officier) Fritz Seiler, Uffz. Armin Möller et Uffz. Otto Adler.
Sans doute pour s'alléger et gagner de la vitesse, il largue près du village de Formiguères ses 17 bombes, dont 14 éclatent à quelques dizaines de mètres des habitations, heureusement sans faire de victimes.

Piégé par le relief

L'avion prend alors une route Nord Ouest et survole plusieurs villes françaises : Ax les Thermes, Argelès, etc... et vers 2H20 du matin, il percute le fond d'une vallée au Sud de Tarbes. L'avion a sans doute tenté de rejoindre l'Espagne en franchissant cette vallée (1) mais il a été piégé par le relief.
Le lendemain matin, les sauveteurs retrouvent l'épave (2) et les restes de l'équipage: les quatre aviateurs allemands ont été tués sur le coup. Leurs corps sont descendus à dos d'âne au village (3) et l'épave de l'avion reste sur place ; Un inventaire précis des objets portés par les aviateurs est fait par la gendarmerie avant leur inhumation au village.
L'évènement ne passe pas inaperçu et la plupart des grands journaux français le répercutent en première page : le temps, le Figaro, l'Humanité, et La Dépêche du midi bien sûr. 

 

Une anecdote surprenante

Lorsque fin 1942 l'armée Allemande envahit la zone libre et découvre que ses quatre aviateurs ont été enterrés avec respect, elle décide de libérer quatre prisonniers français du village captifs en Allemagne. Quatre villageois rentreront donc dans leur famille au Printemps 1943;
Aujourd'hui, les aviateurs allemands sont enterrés dans le grand cimetière militaire de Berneuil en Charente (4).
Le temps passe, et les vestiges du Heinkel 111 s'endorment, oubliés à flanc de montagne..

Quasiment 75 ans plus tard...

Pour faire revivre l'histoire, et munis des autorisations nécessaires, nous nous rendons sur place. Conscients de l'importance historique de ces restes, la plus grande attention s'impose, et les recherches commencent, précautionneusement.
A l'œil nu, rien n'apparait hormis le moyeu d'hélice (5), mais une recherche approfondie nous permet de retrouver des petites pièces de l'avion : un connecteur, un fusible, un fragment de plexiglass (6), un boitier d'accrochage mécanique complexe (7) l'encadrement d'un hublot (8), un morceau de « composite de l'époque », la bakélite (9) et des pièces avec des marquages prouvant que nous avons affaire à un avion allemand :
- une tirette sur laquelle on peut bien lire «raste – ziehen » (blocage – tirer), (10 & 11)
- une plaque d'équipement (12)
Des cadrans du tableau de bord apparaissent: des indicateurs (contenance des réservoirs, pression) , dont certains ont été très abimés par le crash (13). Un cerclage avec son verre si fin mais miraculeusement intact est peint en jaune (14): ce code couleur le relie à un indicateur appartenant au circuit de « carburant ».
Une joli renfort structural est replacé sur le plan d'époque (15). Une pièce met en évidence les couleurs qui ont été successivement appliquées : le vert de protection « RLM02 », le marron, puis le gris des avions franquistes (16);
A côté de cartouches entières, on trouve aussi des douilles vides et percutées (17): ce détail montre bien que l'avion a été attaqué, s'est défendu et a tiré sur ses assaillants.
Un fragment de bouteille est découvert (18) : mon voisin, œnologue renommé, à qui je le montre s'exclame de suite : « mais c'est une bouteille de bière, cela se voit par l'épaisseur du verre. Cette bouteille a explosé dans un choc violent, la forme de la cassure du verre le montre ». Nous avons certainement trouvé un reste de bouteille qui était à bord de l'avion.
Voici une scorie étonnante, constituée d'aluminium fondu par la chaleur de l'incendie, emprisonnant des colliers en acier qui eux, n'ont pas fondu (19).

Une plaquette nous révèle l'identité de l'avion

Puis, nous trouvons une plaquette numérotée (20) : par une chance incroyable (et ceci ne m'est arrivé qu'une seule fois jusqu'à présent), nous avons trouvé la plaque de fabrication de l'avion qui indique le type exact de l'avion : Heinkel 111B, sa date de fabrication : Juillet 1937, mais surtout son numéro de série : 2214.

Ce numéro de série avion, le 2214, est retrouvé sur d'autres pièces (21 & 22) et il nous permet de remonter jusqu'à la vie individuelle de l'appareil. Nous sommes face à l'un des premiers exemplaires du Heinkel 111, avec le poste de pilotage sur le dessus du nez de l'avion, avant qu'il ne soit totalement vitré. ? Ce numéro nous permet par exemple de confirmer que cet avion, construit en Juillet 1937, n'a pas participé au bombardement de Guernica (Avril 1937).
En cherchant sur le net, nous découvrons des photos de cet avion avant son crash, lorsqu'il était basé en Espagne. Immatriculé « 25-12 » (23), il appartenait à l'escadrille 4/KG88 et il avait eu des problèmes de rétraction de train d'atterrissage (24). Un détail visible sur les photos de l'épave prouve que c'est bien le même appareil que nous avons retrouvé: l'insigne peint sur la dérive. Les Heinkel 111 de la légion condor portaient souvent un insigne individuel qui différait selon les avions (photo 25 : cette sorcière était sur un autre Heinkel 111, le 25-9). Or, « notre» numéro 2214 portait un trèfle à quatre feuilles, trèfle que vous pouvez clairement retrouver sur les photos de l'épave (26).

La montre de l'un des membres d'équipage

Enfin, dernier objet, chargé d'émotion, nous retrouvons un mécanisme de montre (27). Notre expert l'analyse et ses conclusions sont nettes :
- cette montre date des années 30's,
- elle est de fabrication suisse et fait partie des modèles parmi les plus exportés : l'Allemagne, comme d'autres pays en Europe en a reçu en très grand nombre,
- les angles du cadran sont tordus vers le bas montrant ainsi que le mécanisme a été violemment expulsé du boitier ;
Ces indices mis bout à bout montrent que c'est très vraisemblablement la montre de l'un des membres de l'équipage.
Le porteur de cette montre était peut-être l'un des hommes que l'on voit sur la photo devant l'avion sur la photo 23...
Cerains de ces  vestiges sont désormais exposés dans le musée « Aéroscopia » qui a ouvert ses portes à Toulouse il y a quelques mois  à Blagnac devant la chaine AirbusA380, et vous y êtes les bienvenus.


Gilles Collaveri
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Dédicace :

cet article est dédié à Marcel Fabre qui a eu la gentillesse de me guider mais qui nous a malheureusement quitté trop rapidement.

Bibliographie :

Jeanne Ripol « Lavedan et pays Toy, société d'études des sept vallées, N°35»

Remerciements :

Tom Donyphon, Steve Polyak, Jean-Michel Riboulet, Snautzer, Mme Fabre, Mme Artigalas, « 12oclockhigh », LEMB ;


Crédit photo :


Title Illustration : avec l'aimable autorisation de Roden
1 : Coll. L. Habas
2: coll. Th Trappes
23: Schiffer Military History The Legion Condor by Karl Ries / Hans Ring (ISBN 0-88740-339-5)
24: Vladimir Nikiforovs archive;
rapport de la gendarmerie de Janvier 1939 sur :
http://www.petit-fichier.fr/2013/07/09/rapport-de-police-md/

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et

- rapport de police rédigé à lépoque:

Heinkel 111-GB.doc

RAPPORT-DE-POLICE-MD.PDF