Le bombardier mystérieux

Le bombardier mystérieux

1- He 111- credit JL RobaHe 111- credit JL Roba

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un avion particulier 

10 Novembre 1943, le Heinkel He 111 H-11 numéro de série (W.Nr.) 110070 portant l’immatriculation GL+ET décolle de Cazaux. 

Cet appareil n’est pas un He 111 standard, semblable à ceux qui ont bombardé le Royaume Uni pendant la Bataille d’Angleterre, c’est un appareil d’essai. Il appartient à l’unité spéciale « Erprobungsstelle Süd »  qui essaie les nouveaux matériels et cet avion est utilisé pour tester les derniers modèles de viseurs « Lötfe7 » de type D et H (2). 

Pendant l’été et l’automne 1943, l’Erprobungsstelle a déjà fait plusieurs vols avec cet appareil dans les environs de Cazaux et de Millau, en lâchant des bombes réelles afin de valider la précision de ce nouveau type de viseur. 

Ce 10 novembre 1943, l’équipage est composé de  Willi Dennert (le pilote) (3), Herbert Waschk (le commandant de bord) (5),  Karl Jüngling (l’opérateur radio), Herbert Gerlach (le mécanicien/opérateur de la mitrailleuse arrière), et Walter Hartung (le chef armurier529, ces deux derniers faisant partie de l’équipe technique de l ’ « Erprobungsstelle ».

Herbert Waschk a déjà été décoré à plusieurs reprises lorsqu’il volait dans l’escadrille KG76: le 11 mai 1942, il a reçu la coupe d’honneur de la Luftwaffe (« Ehrenpokal»), et le 5 novembre 1942, il a été décoré de la « Croix allemande » en or (5) (DKIG : « Deutsche Kreuz In Gold »).  

un vol d’essai qui s’achève de manière dramatique.

L’appareil décolle sans problème et part vers l’Est. Mais peu après Albi, à 5.000 mètres d’altitude, le moteur gauche prend feu. Cet incendie dérègle les commandes de vol. 

Voici la description faite dans le compte rendu d’accident rédigé peu après le drame : (6)

Ce qui peut être traduit comme suit :

 

« Objectif du vol : essai de lâcher de bombes à 5,000 mètres

Cause (du crash) : Probablement feu moteur à gauche, fracture de l’aileron, endommagement du turbocompresseur; »

L’avion devient incontrôlable (7). Le pilote réussit à sauter en parachute alors que les quatre autres membres d’équipage, piégés dans lu Heinkel 111 en détresse, s’écrasent avec l’avion. 

Mais que s’est-il passé?  Plusieurs explications sont possibles mais voici la plus probable : le pilote du Heinkel 111 volait lui avec son parachute attaché sur lui, alors que le parachute des autres membres d’équipage était  souvent rangé dans un logement prévu à cet effet, sur le côté du fuselage (  (8)  image  « Abb 50 »). En cas de problème, ils devaient aller chercher leur parachute, le passer, se sangler et sauter. Il est très plausible que les quatre passagers, dans un avion en vrille, n’aient pas eu le temps de s’équiper pour sauter. 

D’autres explications peuvent être avancées : le pilote bénéficiait lui d’une sortie relativement accessible: une trappe au-dessus de lui ((8)    image « Abb 49 »), alors que les autres membres d’équipage dans le fuselage devaient eux sortir par une porte, une opération plus compliquée, particulièrement dans un avion en perdition. Il est possible aussi que les quatre passagers aient été plaqués à la paroi du fuselage par la force centrifuge, énorme dans un avion en vrille. 

A l’impact, l’appareil est pulvérisé et le pilote est le seul rescapé. L’armée allemande vient récupérer les quatre corps, puis, quelques jours plus tard, évacuera les restes de l’avion en réquisitionnant les chars à bœufs des environs. Seul quelques débris minuscules restent, enfoncés dans la terre..   

10 Novembre 2013, découverte de l’avion 

Par un pur clin d’œil de l’histoire, nous arrivons sur le site de crash (9)  jour pour jour 70 ans après l’accident. Toutes les autorisations administratives ont été obtenues en amont auprès des services compétents, la DRAC etc.. et aussi auprès des propriétaires du terrain (10) . Ceux-ci nous ouvrent grand leur porte. Le grand-père de la famille qui a été témoin du crash nous relate ses souvenirs de l’évacuation de l’épave.

Sur le terrain, le travail de recherche commence et les pièces apparaissent. 

Les fragments retrouvés sont en mauvais état car le champ a longtemps été labouré et la charrue est destructrice pour les fins morceaux d’aluminium, déjà malmenés par le crash. 

Un grand nombre de scories (11) nous confirme qu’un incendie a eu lieu et les fragments de peau tordue de l’avion laissent imaginer la violence du choc.

Des composants de l’appareil revoient le jour : de la tuyauterie, des composants d’équipements, de la tôle froissée; (12) 

Des pièces qui parlent 

Une splendide plaque livre des instructions de remplissage de carburant (13) ;

Une autre plaque qui était, elle montée sur un actuateur (14) ;

Voici des pièces qui retiennent notre attention  (15) :

(1) Le cadran d’un équipement du tableau de bord (2) un écouteur qui était monté sur le casque de l’un des membres de l’équipage (3) le briquet de l’un des membres de l’équipage (4) une attache du système d'alimentation en oxygène des navigants (5) Une boucle d’attache de ceinture de sécurité, qui était montée au pied du siège. Celle du pilote, peut-être ? (6) des fragments de plexiglass (le nez du He111 était complètement vitré) (7) des étuis (douilles)  (i) à gauche : du canon frontal (20mm) et (ii) à droite : des mitrailleuses (7,9 mm) (8) un composant ‘équipement finement travaillé  (9)  Une mollette de réglage très fine : peut-être était-elle montée sur le viseur essayé ce jour-là ?  (10) une prise électrique ;

Ce cerclage d’aluminium (16) dévoile une graduation, il s’avère être la rose inférieure (solidaire du gyroscope) de la centrale de cap Lku4 du pilote automatique Siemens   (17).

Les pièces les plus frappantes, les voici :

- Nous trouvons l’altimètre de l’avion (18). La structure de l’équipement a résisté à la charrue et est encore intègre, avec un fragment de cadran sur laquelle on devine le mot « Höhe » (=altitude). 

- une décoration de haut rang, la « Deutsche Kreuz » en or (19) , qui fut décernée à 25,000 exemplaires seulement dans la Luftwaffe. Son bon état général nous surprend tous. Mais quelle est son histoire ? 

Retrouver l’histoire des occupants de cet avion 

Ayant obtenu auprès des archives allemandes le compte-rendu d’époque relatant cet accident, nous avons les adresses – en 1943 !- des membres de l’équipage. Nous lançons nos amis allemands à la recherche d’éventuels descendants, espérant retrouver des documents ou des photos d’époque. 

Un matin, un mail étonnant nous attend. L’un de nos relais, Christoph Regel, a retrouvé et contacté la famille du pilote, Willy Dennert. Sa fille lui a transmis ses documents militaires : nous découvrons son visage, une photo de lui devant un biplan d’entrainement, il parait très jeune.  

Les surprises de l’histoire  

Mais une plus grande surprise nous attend. Willy Dennert a traversé la guerre, et il est décédé… en Janvier dernier! Le pilote nous a quittés six mois avant la découverte des restes de son avion. 

La médaille dans notre main, c’est celle de la photo 

Quant à la croix allemande, notre réseau de spécialistes nous renseigne rapidement. Un seul membre d’équipage la portait : Herbert Waschk. Une recherche nous permet très vite de découvrir sa photo et aussi de prendre contact avec sa famille : sur la photo de Herbert Waschkau début de cet article, vous pouvez voir accrochée sur sa poitrine, à droite, la médaille qui a été déterrée dans un champ du Tarn. Sa famille, retrouvée et contactée, a confirmé son intérêt dans notre démarche, et se rendra sans doute en France sur les lieux du crash. 

L’histoire est un grand puzzle dont nous rassemblons patiemment les pièces : certaines sont constituées par les histoires des hommes et elles nous permettent aujourd’hui de mieux comprendre la fin tragique du Heinkel 111 W.Nr. 110070 ; (20)   

Gilles Collaveri 

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Remerciements : Marc Bourret et ses doigts magiques, Marie-Christine Pinoul, la famille Cavailhes, et tous les mécènes, les supporters, les amis qui nous aident dans cette quête ;