TOULOUSE 23 JANVIER 1944 : LES DEBOIRES DE LA LUFTWAFFE

L’OCCUPATION ALLEMANDE DANS LE SUD OUEST DE LA FRANCE

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Fin 1943, l’armée Allemande occupe le Sud-Ouest de la France et sa présence est forte. 

A l’automne 1943, le Feld Marechal de la Luftwaffe Hugo Sperrle procède à une inspection en règle à Toulouse-Francazal. Débarquant d’un Junkers52 en tôle ondulé, le « gros » maréchal fait une tournée des troupes (1), serrant les mains de militaires en uniforme de parade, saluant en particulier l’escadrille KG76.

 1 Hugo Sperrle DR 1 Hugo Sperrle DR

Cette escadrille (« KampfGeschwader » 76 – escadre de combat) est équipée de bombardiers bimoteurs Junkers88 (2) c’est une escadrille d’attaque mais c’est aussi une unité d’entrainement pour les jeunes pilotes, avant qu’ils n’aillent rejoindre le front. 

2 Junkers 88 credit Patrick Mallet2 Junkers 88 crédit Patrick Mallet

Basée à Francazal, elle effectue souvent des démonstrations de force pour impressionner la population, c’est l’un des volets de la guerre psychologique menée par le Reich. Le 9 Novembre 1943, par exemple, une parade aérienne a lieu sur Toulouse. Les avions du quatrième groupe de la KG76 survolent Toulouse à très basse altitude. Les Junkers88 passent en rase motte au-dessus des toits de la « ville rose » (3) pendant que les soldats défilent dans la rue au son de la fanfare (4). 

3 Toits de Toulouse DR 3 Toits de Toulouse DR

 4 Orchestre dans la rue DR 4 Orchestre dans la rue DR

23 JANVIER 1944 : BRANLE BAS DE COMBAT ! 

Le dimanche 23 Janvier 1944, la Luftwaffe est sur le pied de guerre.  Les alliés ont débarqué la veille en Italie, à Anzio-Nettuno (opération « Shingle » (5) ) et tous les avions Allemands basés dans le Sud de la France attaquent la flotte alliée. Plus de 200 avions sont en l’air ce jour-là. Les Heinkel 177 de l’escadrille KG40 décollent de Bordeaux, les Junkers 88 de la KG26  de Montpellier, et les Dornier 217 de la KG100 de Toulouse/Blagnac. 

 5 operation shingle DR 5 operation shingle DR

CRASH AU DECOLLAGE … ET A L’ATTERRISSAGE 

A Blagnac, vers 13H30, un Do217 avec à son bord 4 hommes d’équipage (*) rate son décollage et s’écrase près des Ateliers de Réparations de l’Armée de l’Air (« ARAA »).  Son chargement de bombes explose (6),  l’explosion (6) est tellement violente qu’elle endommage les vitraux du cloitre et les vitres du couvent des Bénédictines à Blagnac mais l’équipage, blessé, réussit à s’extraire à temps de l’épave. La Gendarmerie Française rédige même un compte rendu à l’attention de la Feldgendarmerie (7).

6 Dornier 217 credit Patrick Mallet6 Dornier 217 crédit Patrick Mallet

7 rapport de gendarmerie DR 7 rapport de gendarmerie DR

Survolant cette scène, un Junkers 88 de la KG76 (**) assiste à ce crash. Le pilote est tellement  impressionné par cette vision qu’il en rate son atterrissage à Francazal. Son avion est classé  «endommagé à 10% ». Un message allemand décodé par les anglais (rapport ULTRA) relate la déclaration du pilote du JU88 et ses conséquences (8):  «Pour expliquer ses hésitations, le pilote a déclaré qu’il avait été fortement impressionné par le crash d’un Dornier217 qu’il avait observé à Blagnac pendant qu’il effectuait son propre atterrissage. Une mesure disciplinaire à l’encontre de ce pilote et sa radiation du personnel navigant sont imposés ».  La rigueur Allemande est de mise, même en temps de guerre. 

8 ULTRA DR 8 ULTRA DR

UN ENTRAINEMENT QUI TOURNE MAL 

 Au même moment et plus au Sud de Toulouse, un jeune équipage s’entraine au bombardement en piqué, également sur un Junkers 88 (***). Il est composé de quatre jeunes navigants (9). 

9 Heinz Schuck Gunther Fishbach Karl Kuhnl Alfred Specht DR 9 Heinz Schuck Gunther Fishbach Karl Kühnl Alfred Specht DR

Soudain, une panne moteur survient : l’avion trainant un panache de fumée tente de rejoindre Francazal, mais il n’a pas assez d’altitude. Peu après avoir franchi la Garonne, il fait demi-tour, sans doute dans l’espoir d’atteindre un champ dégagé (10) Peut-être l’avion s’enfonce-t-il du côté du moteur en panne, en décrochage asymétrique ? L’avion est à basse altitude, il arrive sur la berge en rase motte. Il évite un premier talus mais il lui manque deux mètres pour sauter le deuxième obstacle, une dizaine de mètres plus loin. 

10 scene finale Credit Patrick Mallet10 scène finale Crédit Patrick Mallet

L’AVION, PLEIN DE CARBURANT, EXPLOSE ET PREND FEU 

 L’avion percute le talus à pleine vitesse, explose, et s’embrase. Les quatre membres d’équipage sont instantanément tués dans le crash et l’avion est détruit à 90% (****). On peut imaginer que seuls l’empennage et les extrémités de voilure n’ont pas brulé. 

Un jeune du village arrive très vite sur le lieu du crash, il réussit à subtiliser une des mitrailleuses de l’avion, en coupant avec son couteau une sangle qui la retenait à l’épave, et il la ramène chez lui. Mais son père qui craint la colère de l’occupant et des représailles, l’oblige à s’en débarrasser.  

Des troupes Allemandes sont cantonnées à quelques centaines de mètres du crash dans un cantonnement, qui existe toujours aujourd’hui (11). Elles se précipitent pour éteindre l’incendie mais il est déjà trop tard, l’équipage n’avait aucune chance de survivre à la violence du choc. 

11 cantonnement GC 11 cantonnement GC

Les restes de l’avion sont évacués plus tard, non sans difficultés car le pont sur la Garonne est étroit à cet endroit. Quelques jours après le crash, un char à bœuf se retrouve bloqué face à un camion Allemand transportant une partie du JU88 qui passe de justesse sur le pont. 

 12 William GC 12 William GC

L’OUBLI S’INSTALLE .. 

Le temps passe, les souvenirs s’estompent, les témoins disparaissent, l’oubli s’installe jusqu’à ce qu’un ami au Brésil m’envoie un mail « as-tu vu cette photo ? cet équipage de JU88 s’est écrasé près de Toulouse ». C’est ainsi que la recherche démarre. Le nom du village est indiqué, les archives allemandes confirment cette perte, et la mairie nous transmet les coordonnées d’une personne du village passionnée d’histoire, qui a entendu parler de ce crash, et qui nous mets en relation avec le propriétaire du terrain. 

Un dossier de préparation complet est constitué et l’autorisation du propriétaire est reçue. 

 

LES PIECES DU PUZZLE S’ASSEMBLENT 

 

La recherche a enfin lieu et elle confirme le scénario précédemment esquissé : des fragments  d’aluminium d’origine aéronautique sont mis au jour, tordus et brulées (13). Voici le détail des pièces : (1) boucle de ceinture d’un des occupants de l’avion (2) étui de cartouche d’une des mitrailleuses (3) connecteur électrique (câble à l’intérieur) (4) tuyaux provenant d’une prise d’air statique (5)  cerclage d’un cadran du tableau de bord (6) composants divers (7) fragments de la peau de l’avion (8) cerclages (9) composants divers . 

13 pieces du JU88 GC 13 pièces du JU88 GC

Sur la photo 14, uene génératrice électrique (1) un cerclage moteur (2) des lamelles d’aluminium (3) et de la tuyauterie (4)

14 pieces du JU88 GC 14 pièces du JU88 GC

Enfin, de nombreuses scories (15) sont déterrées : l’incendie a été très violent !

15 SCORIES GC 15 SCORIES GC

Des enfants sont venus avec nous pour cette prospection. Nous les sensibilisons à l’histoire, à la préservation du patrimoine et au respect des pièces découvertes. Lorsque le père du propriétaire du terrain nous rend visite et leur raconte comment il a été témoin de l’évacuation des vestiges de l’avion, les enfants sont bouche bée et ils n’en croient pas leur oreilles. Un témoin vient leur parler des fragments d’histoire qu’ils ont déterrés, Ils touchent du doigt l’Histoire avec un grand « H ». C’est une expérience riche et unique pour eux, qu’ils s’empresseront de partager quelques jours plus tard à l’école lors d’un exposé sur l’archéologie aéronautique. 

Ainsi, partant d’un simple email, puis en déroulant les archives et les témoignages, notre enquête met en lumière une journée terrible pour la Luftwaffe. Elle remet en contexte un événement historique qui a constitué un tournant dans l’histoire de la seconde guerre mondiale : le débarquement allié en Italie. 

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Aerocherche.fr

 

(*) Do217 E-5 Wnr 5406 immatriculé 6N+CC, Capt Frantz Eberthaüser, Feldwebel Eberhard Fessenmeyer, Unteroffizier Johannes Sachy, Obergefreiter Horst Held 

(**) Junkers 88 A-14 Wnr 4557 immatriculé F1+GU

(***) Junkers 88 A-4 Wnr 300232 immatriculé F1+OU Equipage : Obgfr Heinz Schuck, Uffz Günther  Fischbach, Uffz Karl Kühnl, Obgfr Alfred Specht

(****) archives de la Luftwaffe «  absturz bruch 90% » = détruit à 90%

Remerciements : Adriano Baumgartner qui est à l’origine de la recherche. Et tous les amis et chercheurs qui nous aident dans cette quête de la reconstruction de l’histoire, Mesmin, Jean Philippe, Denis, Eloise, Christophe (X2), Marc, etc....