Decouverte de l'Avion d'un As
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Nous sommes dans l’après-midi du 4 Novembre 1943. Les Dewoitine 520 de l’escadrille JG 101 de la Luftwaffe s’apprêtent à décoller de Tarbes.
Ce sont des avions Français récupérés par l’occupant Allemand et qui servent désormais à l’école de chasse pour l’entrainement des jeunes pilotes.
Parmi les avions qui décollent cet après-midi, le numéro 693 est piloté par Rudolf Tomasch et le numéro 505 piloté par August Malle.
LE BROUILLARD TOMBE
4 Novembre 1943 : Les avions décollent normalement, mais peu après leur départ, le brouillard tombe brusquement . Les jeunes pilotes manquent d’expérience et ignorent tout du pilotage sans visibilité. A quelques minutes d’intervalle, deux accidents se produisent : le Numéro 693 survole Lannemezan très bas, passe au-dessus des platanes bordant la N117, et se crashe dans une prairie au milieu d’un troupeau de vaches (sans les toucher !). Le moteur arraché, l’avion prend feu et le pilote est tué sur le coup.
Quant au numéro 505, désorienté dans le brouillard, il ne voit pas une petite colline qu’il percute de plein fouet ; Voici ce que nous a raconté Alice, âgée à l’époque d’une quinzaine d’années, son témoignage a été recueilli il y a quelques mois :
"Je me souviens d'un terrible choc dans la montagne il y avait du brouillard, il devait être 17H environ... l'heure où l'on rentre les bêtes. Nous nous sommes rendus sur les lieux de l'accident avec d'autres... Je revois encore l'image de cet homme, il avait une chemise de peau blanche... Il est mort sur le coup.
Le soir même, 4 à 5 allemands sont venus à la maison. Ils nous disent qu'ils ont laissé le corps sur place parce qu'il était "caput". Je ne sais pas pourquoi ils l'ont laissé là seul au milieu des braises... Ils ~ous disent aussi qu'ils en ont assez de faire la guerre. Les allemands viendront le lendemain chercher le corps."
August Malle, né à Feldkirchen en Autriche le 28 novembre 1922 n’avait même pas 21 ans.
Rudolf Tomasch venait d’avoir 23 ans;
LE D520 N° 505 : UN AVION PARTICULIER
Mais revenons sur l’appareil de August Malle, le Dewoitine 520 numéro 505: ce n’est pas n’importe quel avion. Avant d’être saisi par les Allemands, cet avion était celui de Georges Garde.
Photo 1, Georges Garde (credit L.Morareau)Georges Garde (photo 1) est une personnalité. C’est un des rares « as » français (pilote ayant abattu plus de cinq avions ennemis) de Juin 1940. Au sein du groupe de chasse GC;I/1, il vole sur un monomoteur, le Bloch152. Au cours de la campagne de France, il effectue plus de 50 missions entre le 10 mai et le 25 juin 1940. Le 14 Mai, il abat un Messerschmitt 110 près de Dinant, le 17 Mai, un Henschel 126. Le 20 Mai, près de Chantilly, un Dornier 17, le 5 Juin, près d’Orléans, encore un Henschel 126, puis le 20 Juyn, un Heinkel 111 près de Royan.
Lorsque la défaite arrive en Juin 1940, son groupe reste au sol. Il reprend progressivement ses vols en 1941, et son groupe est transformé sur Dewoitine 520, avec un entrainement préalable à Toulouse Francazal;
Fin 1942, Georges Garde vole sur le D520 numéro 505, qui a été réceptionné en Mars 1942. Cet avion porte une livrée haute en couleurs, celle dite « de Vichy » avec en particulier les célèbres bandes jaunes et rouges (photo 2 ).
Photo 2, Le Dewoitine 520 N°505 aux couleurs de Vichy (Garde collection, credit Serge Joanne)
Lorsque le 11 Novembre 1942, la zone française dite « libre » est envahie par l’armée allemande, les avions français sont récupérés par la Luftwaffe et utilisés pour l’entrainement de ses jeunes pilotes. C’est ainsi que le 505 se retrouve à Tarbes le 4 Novembre 1943 dans les mains de August Malle ;
Début 1943, Georges Garde entre dans la résistance (réseau « Alliance ») et en Août 1943, il s’évade via le Portugal et l’Espagne vers l’Afrique du Nord. Il prendra par la suite le commandement du Centre d’instruction de Meknès au Maroc.
LA DECOUVERTE DES RESTES DU NUMERO 505
Photo 3, SCORIESAnimés par les mêmes motivations que d’habitude (faire revivre la mémoire des acteurs oubliés, en partageant nos trouvailles et analyses à travers publications et expositions, sans jamais faire de profit de cette activité, et dans le respect des hommes et des lois), nous partons à la recherche du N°505.
Les archives allemandes nous ayant fourni la localisation du site de crash, et nantis des feux verts administratifs nécessaires, nous arrivons chez les propriétaires du terrain où le N°505 est tombé. Avec une grande gentillesse, ils nous confirment l’existence de ce crash et nous indiquent son emplacement exact. Sur place, du métal fondu s’est figé sur la roche, indiquant qu’un incendie a eu lieu (photo 3); Rapidement, de nombreuses pièces de l’avion apparaissent. Elles vont nous donner de précieuses informations, et leur analyse est passionnante car elle permet de reconstruire le puzzle de cet avion.
DES TRACES DE PEINTURE
Commençons par la couleur : les traces de peinture nous racontent la vie de l’avion. Ces fragments nous montrent le jaune et le rouge des bandes Vichy, encore éclatants de lumière malgré 70 ans passés sous les intempéries (photo 4). Puis, le gris et le jaune pâle utilisés par la Luftwaffe pour repeindre ses avions (photo 5):
Voici le « bleu nuit » typique de certains intérieurs des avions français (photo 6 ) : cette photo d’une commande de réglage fera le bonheur des modélistes. Et le « chamois », la peinture typique de protection des avions français (photo 7) ;
LES PLAQUETTES
Comme souvent, des plaquettes sont retrouvées. Sur cette photo (8), celle d’en haut était montée à côté du support de la ciné mitrailleuse (on peut y lire « Support Photo-Ciné SGDG Standard Type Série N°5111 »), celle du milieu équipait l’hélice de la marque Chauvière, et celle du bas porte le numéro 563 qui ne correspond pas à « notre » numéro avion : elle est sans doute le résultat du « cannibalisage » (qui consistait à prélever des éléments d’un appareil pour les monter sur un autre avion) ;
DES PIECES QUASI NEUVES !
Dans une grange proche de la ferme, des pièces récupérées sans doute juste après le crash sont restées à l’abri pendant 70 ans : deux splendides roues à ailettes du compresseur de suralimentation (photo 9), et une génératrice électrique (photo 10) quasiment intacte ! (*) cette « géné » était montée à l’emplacement marqué en rouge (dessin : 11) et elle a dû être arrachée « proprement » lors du crash;
D’AUTRES ELEMENTS PARLENT
Sur le terrain d’autres éléments apparaissent et sont identifiés : une splendide Ferrure de Levage sous l’aile (photo 12) qui servait à mettre l’avion sur vérin (photo 12bis), un reste de cercle en acier (photo 13) qui faisait partie du système de freinage dans la jante (C'est la bague sur laquelle viennent frotter les Ferrodos : voir photo 13 bis), un support du levier de signalisation (photo 14 + dessin 15) ;
Un élément d’aileron ou de volet sur lequel on voit encore la trame de la toile de lin (photo 16)
Des débris de verre provenant des équipements du cockpit mais aussi du plexiglas rouge : certainement des fragments de la verrine du feu de position gauche (photo 17 )
Enfin, un tout petit objet est particulièrement émouvant (photo 18): ce bouton pression sur lequel est écrit « zieh hier » (en allemand « tirer ici ») Il provient bien évidemment d’un objet allemand, sac de parachute, ou besace telle que celle-ci (photo 19).
Il nous rappelle qu’un jeune pilote allemand est mort ici à l’âge de 20 ans.
Gilles Collaveri
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Remerciements : Pierre Angeli, Pierre Babin, Mr et Mme Bazerque, François Xavier Bibert, Thierry Fournier, Monsieur Morareau, Patrick Palier, Lionel Persyn, Matti Salonen, Pierre Antoine Tilley;
Crédit photo : Photo Garde, collection Serge Joanne, et Monsieur Morareau
(*) cette génératrice pourrait reprendre l’air puisqu’elle a été offerte à l’association « Replicair » dont le prochain projet est la reconstruction d’un Dewoitine 553.
Cette « géné »fera le bonheur d’un moteur Hispano Suiza 12Y ;