LE DERNIER DES LATECOERE
Avec l’aimable autorisation de Benjamin Freudenthal
carte
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JUIN 1940 la débacle
Les Allemands envahissent la France et l'armée Française tente, tant bien que mal, de se replier en bon ordre.
L'armée de l'air fait le maximum mais elle est dépassée. L'histoire retiendra l'expression initialement utilisée pour le Dewoitine 520 : « trop peu, trop tard ».
Dans l'aéronavale, les hydravions Latécoère 298 ont fait ce qu'ils ont pu : « Pendant plusieurs semaines, les Latécoère 298 ont été utilisés pour des missions pour lesquelles ils n'étaient pas prévus et pour lesquels leurs équipages n'avaient pas été entrainés. Ils ont surtout mené des attaques à la bombe sur des objectifs terrestres mal définis et sans aucune protection de la chasse.. Il est même miraculeux que dans de telles conditions, leurs pertes n'aient pas été plus élevées » (a) .
Basée à Cherbourg, l'escadrille T2 équipée de Laté 298 est commandée par l'Amiral Jacques Lamiot.
Le périple de l'escadrille T2
Ecoutons Jacques Lamiot raconter les événements de Juin 1940:
« le 18 Juin, les Allemands sont aux portes de Cherbourg. A 10 heures du matin, nous prenons l'air avec nos bombes .. et pendant que nous volons, Cherbourg nous donne l'ordre de rallier Brest où nous nous posons sur le plan d'eau de Lanvéoc Poulmic au milieu d'une grande confusion causée par une attaque heureusement peu importante, de bombardiers Heinkel. Là, après nous être ravitaillés tant bien que mal, nous filons sur Hourtin que nous avons de la peine à découvrir, enseveli sous une épaisse couche de brume. Dans cet oasis de calme, nous reprenons nos esprits et le lendemain, l'amirauté nous expédie sur la Méditerranée » (b) .
L'objectif de l'escadrille est d'aller à l'étang de Berre, avant de continuer sur Bougie, à l'est d'Alger.
Effervescence à Hourtin
1 - A.SEBIREQue se passe-t-il à Hourtin ? on peut facilement imaginer la situation dans cette base en ce 19 juin.
La chaine de production Latécoère de Biscarosse fonctionne à plein et continue de livrer des appareils neufs.
Sur place, un personnel nombreux est dans l'attente, parfois désœuvré. Le Second maitre pilote André Sébire (photo 1) est arrivé quelques semaines plus tôt du Sénégal (résumé de sa carrière sur http://www.petit-fichier.fr/2013/09/08/vie-andre-sebire/).) . Il a précédemment volé sur Bréguet Bizerte (photo 2). Il a été affecté en Novembre 1939 à Dakar second pilote sur le Latécoère 301 « De L'orza ». Cet hydravion a été convoyé sur le France et il est arrivé avec André Sébire à Biscarosse le 28 Mai 1940.
Inactif depuis cette date, André Sébire tourne en rond sur la base : « Ici où je n'ai rien à faire, je m'ennuie terriblement et je ne vois pas l'heure de partir dans des coins un peu plus mouvementés ce qui je pense ne tardera pas » (c)
Proche d'André Sébire (leurs familles se connaissent), le maitre arrimeur Jules Lemoine (photo 3, à gauche) partage la même pension de famille que son ami pilote(résumé de sa carrière sur http://www.petit-fichier.fr/2013/09/08/vie-jules-lemoine-1/) Il a commencé sa carrière sur ballon, a reçu son certificat d'arrimeur volant le 28 Mars 1925 et a fait sa carrière dans l'Aéronavale; Sa famille étant à Berre, on lui propose d'embarquer lors du prochain départ.
« sauvons ce que l'on peut »
Dans cette immense confusion du mois de Juin 1940, les avions neufs sortant de chaine sont confiés aux navigants présents à qui l'on ordonne de fuir vers le Sud;
En Juin 1940, il fait un temps épouvantable dans le Sud-Ouest : le 11, deux Laté 298 sont perdus lors de leur convoyage vers l'étang de Berre:
- le numéro 72 (« T3.6 », pilote Le Louarn) s'écrase près de Castres tuant son équipage.
- le numéro 69, perdu dans le brouillard, suit la Garonne, mais à Toulouse, il accroche les câbles du bac des Ponts Jumeaux. L'équipage est sauf mais l'avion devra être ferraillé.
La disparition du Laté 298 Numéro 93
Le 19 juin, André Sébire et Jules Lemoine décollent de Biscarosse vers Berre à bord du Latécoère 298 numéro 93. Cet avion vient tout juste d'être livré : il a fait son premier vol le 6 Juin, a été réceptionné par l'Aéronavale le 16 Juin puis affecté à l'escadrille le 18 Juin.
Le fournisseur d'hélice Ratier peinant à livrer les hélices tripales, cet avion a encore une hélice bipale en bois temporaire, qui est utilisée pour les convoyages et l'exercice (photo 4 ).2 - BREGUET BIZERTEAndré Sébire n'a jamais volé sur ce type d'appareil, mais il n'a pas le temps de s'entrainer, il faut fuir.
L'avion décolle mais se heurte rapidement à des orages épouvantables. Les autres pilotes de l'escadrille rapportent qu 'André Sébire émet à la radio pendant un moment, puis les émissions cessent brusquement (d) Ils ne réémettront plus, l'avion a disparu, corps et âme.
Ce n'est que plusieurs mois plus tard, le 21 Novembre 1940, que des réfugiés espagnols ramassant du bois près de Montségur (photo 6) trouveront par hasard l'épave du Latécoère et les dépouilles de l'équipage.
André Sébire et Jules Lemoine ont fait preuve d'un grand courage en partant sans entrainement préalable à bord d'un avion sans doute imparfaitement mis au point, et par un temps épouvantable. Ils ont payé ce courage de leur vie.
La raison exacte du crash reste inconnue à ce jour, mais plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
- avion plaqué par les turbulences dans un relief difficile (il faisait un temps exécrable)
- erreur de navigation les ayant fait dévier de leur cap initial (la visibilité était de même très mauvaise)
- panne d'essence (les habitants de la ferme en contrebas du vallon déclarèrent avoir entendu un avion tourner longtemps, et les restes de l'hélice retrouvés ne portent pas d'impact, ce qui pourrait laisser supposer que le moteur ne tournait pas lorsque l'avion percuta).
L'avion est tombé à un emplacement tellement inaccessible que son épave sera laissée sur place et lentement, se désagrégera, victime du temps et des promeneurs occasionnels venant prélever un souvenir. Ainsi, une aile sera descendue et exposée un certain temps au centre de vacances du village le plus proche mais le prix du métal après-guerre justifiera sa vente à un ferrailleur. Pour la même raison, le moteur sera également récupéré puis revendu, et l'avion sombre dans l'oubli jusqu'à ce que....
Découverte du dernier des Latécoère
En Novembre 2012, et après avoir effectué toutes les démarches administratives nécessaires (et il y en a !), nous cherchons les restes de cet appareil au nom mythique, dont aucun exemplaire au monde ne subsiste.
Grâce au témoignage du propriétaire du terrain et des habitants du village le plus proche, nous avons certes des indications mais la recherche est difficile, elle se déroule parfois dans la neige et dans la boue (photo 6). Trois jours complets de recherche à flanc de montagne sont nécessaires avant, enfin !! de retrouver le premier vestige du Latécoère 298 (photo 7) .
Des débris de l'avion parsèment encore le sol et nous les réunissons et les analysons pour essayer de comprendre ce qu'a vécu cet appareil.
La première chose qui nous frappe est l'excellent état de conservation de la peinture de l'avion (photo 8): le bleu typique de l'aéronavale française en 1940 est devant nous, impeccable. Ces photos permettront aux modélistes de reproduire LA couleur exacte sur leur maquette.
D'autres couleurs apparaissent également, mais principalement sur des tuyauteries (Photo 9) , et elles sont en fait un code couleur.
Air...........................bleu
Eau..........................vert
Huile........................marron
Hydraulique...............bleu/jaune/bleu
Essence ....................jaune
Extincteur..................rouge
Echappement...............noir
Oxygène....................blanc
Air/essence................bleu-rayé-jaune
Air/huile....................bleu-rayé-marron
Nous trouvons un grand nombre d'éléments de structure (photo 10 ) ce qui nous fais prendre conscience combien le Laté 298 était un hydravion immense : plus de 15 mètres d'envergure et 12 mètres de long.
Plusieurs plaques intéressantes méritent des explications :
La plus importante : (Photo 11) celle qui nous a permis d'identifier formellement le type avion. On distingue en effet, à gauche de la date « 3 6 40 », verticalement : « LAT 298 » abréviation de « Latécoère 298 ».
Celle-ci (Photo 12) équipait une pompe rotative située à la base du moteur Hispano12Y, (Photo 12 bis)
Celles-là équipaient des instruments de transmission (Photo 13 & 13 bis ),
en voici une (Photo 14) donnant l'instruction d'attacher la sangle du parachute avant le décollage (Sangle d'ouverture automatique),
Puis, quelques pièces intéressantes:
Une poignée (Photo 15) : peut-être la poignée de largage de la torpille ?
L'extincteur de bord (Photo 16), replacé sur le tableau de bord de l'époque (16 bis),
Des éléments provenant d'équipements du cockpit (photo 17)
Des composants du circuit hydrauliques (valves..) (photo 18)
Le bouchon de remplissage du réservoir, qui était positionné sur l'aile (photo 19 et 19 bis )
Une capsule anémométrique (Photo 20) encore dans son support, sans doute l'altimètre;
Une crépine (Photo 21), qui est une espèce de filtre moteur, dans un état quasi parfait,
Un cadran avec des graduations irrégulières et atypiques (Photo 22) qui s'avère être celui du régulateur de l'hélice Ratier (22 bis),
Une attache moteur en acier inoxydable (Photo 23) qui semble sortir d'usine,
Un morceau de l'arceau de la verrière (Photo 24),'antenne (Photo 25) qui était au bout de la voilure droite et qui permettait au câble de l'antenne d'aller jusqu'au plan fixe vertical ;
Un fragment de l'hélice (Photo 26) : ce morceau de cuivre riveté est le protecteur du bord d'attaque situé en bout de pale. Derrière, il y a du bois (voir commentaire ci-dessus) ;
Une pièce de structure intéressante car elle révèle une spécificité du Laté 298 (Photo 27) : une partie des flotteurs était aménagée en réservoirs pour y conserver l'essence. Cette pièce montre bien, entre la structure et la peau, du caoutchouc dont la fonction est d'assurer l'étanchéité/ c'était donc un élément du flotteur.
Le positionnement de ces pièces est cartographié et celui-ci permet de valider le témoignage recueilli auprès d'un habitant du village. Joseph, jeune, avait été voir l'épave avec les écoliers du village : « l'avion venait du Sud Est et les arbres étaient étêtés dans l'axe Sud-Est/Nord-Ouest ». La répartition des pièces confirme parfaitement la déclaration de Joseph. L'avion ne volait pas dans la direction qu'il aurait dû avoir (vers le Sud Est), ce qui traduit bien un problème ;
Les pièces les plus émouvantes, ce sont celles qui nous ramènent directement aux navigants :
- la boucle de ceinture de sécurité de l'un des deux membres d'équipage : avant et après nettoyage et électrolyse (photo 28 et 28 bis),
- un petit objet rond attire l'attention (photo 29): c'est un bouton doré, portant l'insigne de l'aéronavale ; il était sur l'uniforme d'un des deux marins..
- enfin, le macaron porté par le pilote (Photo 30). Au dos, son matricule, « 2114 » (30 bis), il confirme formellement l'identité du navigant : André Sébire.
Pour conclure, rappelons que – malheureusement- aucun Latécoère complet, de quelque type que ce soit, ne subsiste en France (*). Cette observation donne donc une valeur historique hors du commun aux éléments que nous avons retrouvés.
L'un des plus beaux fragments de ce Latécoère 298 (photo 31) sera remis à Marie Vincente Latécoère Président de la fondation Latécoère dont l'un des objectifs est de perpétuer la mémoire et l'œuvre de Pierre Georges Latécoère.
Gilles Collaveri
06 07 31 89 28
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Et si le détail des pièces trouvées avec photos, avec analyse fonctionnelle vous intéresse, allez sur le lien http://www.petit-fichier.fr/2013/09/08/description-pieces/
(a) Lucien Morareau , le Latécoère 298 chez « Avions »
(b) Icare, la bataille de France – N°61- Volume VI –Printemps 1972- L'aéronavale
(c) courrier d'André Sébire à son épouse en date du 2 Juin 1940
(d) témoignage rapporté par Léopoldine Sébire, fille d'André Sébire
(*) Le seul Latécoère complet existant aujourd'hui est un Laté 25 qui est exposé à au musée de Moron en Argentine;
Illustration de titre : je remercie Benjamin Freudenthal de m'avoir autorisé à reproduire sa peinture, et je vous recommande vivement d'aller voir son magnifique site : http://www.flyandrive.com/
Les puristes me pardonneront d'avoir utilisé un avion avec une décoration de la période « Vichy » (bandes jaunes et rouges ») appliquée après Novembre 1941, et donc historiquement discutable pour notre N°93, mais c'était la plus belle illustration couleurs de Laté 298 connue par l'auteur au moment de l'écriture de cet article....
Bibliographie : « Le Latécoère 298 » par Lucien Morareau et Michel Ledet chez « Avions »
Crédit photo : (le Latécoère avec l'hélice bipale) avec l'aimable autorisation de Monsieur Lucien Morareau
Remerciements: Mr. Aubert, Mr. Alain Bertrand, Mr. Joseph Daux, François Delassalle, qui est à l'origine de l'idée menant à cette découverte, Thierry Fournier, Léopoldine Sébire/Jobart, Mr. André Lafon, MM. Lemoine, Laurent Missiaen, Monsieur Lucien Morareau, , Steve Polyak, Monsieur X. Poplinot,, Aeroforums et tous les Aéroforumeurs, si compétents et si nombreux qu'il est difficile de les nommer tous, ils me pardonneront et se reconnaitront certainement;
Pour savoir plus sur la carrier de chacun des navigants, télécharger: