Le « Ville de Toulouse » ne répond plus

1 D338 6 FAQBF D 338 en vol collection Bruno ViellePhoto 1- D338 6 FAQBF D 338 en vol (collection Bruno Vielle)

To view the English version, please click here.

23 Mars 1938. Le Dewoitine 338 (photo 1) immatriculé F-AQBB progresse dans le mauvais temps au-dessus des Pyrénées; Le Dewoitine 338 est un trimoteur moderne pour son époque. Conçu à Toulouse par Emile Dewoitine, il est l’un des premiers avions de ligne français confortable et performant: il est capable d’emporter une vingtaine de passagers sur 2000 kilomètres. Cet avion élégant vole depuis 1936 sur les lignes d’Air France qui en a commandé 29 exemplaires. 

Le D338 F-AQBB baptisé « ville de Toulouse » est un avion récent, il a fait son premier vol quelques mois plus tôt, le 20 Octobre 1937. 

Parti de Dakar à destination de Toulouse, il a fait escale à Casablanca, Oran, puis Barcelone. Il transporte 8 personnes. L’équipage est composé de trois hommes ; Henry Guy (photo 2), pilote, Pierre Leymarios (photo 3), radio navigateur, Etienne Duthuron, mécanicien, et il y a cinq passagers. 

Ce soir, le mauvais temps est au rendez-vous : neige, brouillard, vent. Un contact radio est établi avec Perpignan, la communication est mauvaise. L’avion poursuit sa route et donne régulièrement sa position, mais vers 20H07, les habitants d’un petit village des Pyrénées Orientales, entendent un bruit de moteur, suivi d’une explosion. Le « Ville de Toulouse » vient de percuter le Mont Canigou, vers 2100 mètres d’altitude; Les témoins de l'accident « ont entendu clairement nettement le choc contre la montagne, ainsi que le bruit de l'appareil roulant ensuite en arrière sur le flanc du pic contre lequel il a buté. Les flammes ont d'ailleurs été aperçues 2 à 3 mn après le choc, dans une éclaircie, ce qui a permis aux témoins de situer le lieu de la catastrophe et de retrouver l'avion dans la nuit. » L’avion a explosé et il n’y a aucun survivant. Les secours partent immédiatement, dans la nuit, et le lendemain à l’aube, ils trouvent l’épave, près du sommet (photos 4 5 et 6 ). Il manquait dix mètres pour que l’avion franchisse la crête. Le journal « L’indépendant » (photo 7) du 27 Mars décrit la vision de l’équipe de secours : « A la suite de l’explosion du réservoir d’essence, toute la face du rocher est noire. Des pans de tôle sont encastrés dans les interstices et un large morceau d’aile git au pied de la muraille » (photo 8). 

Détails navrants : le pilote Guy avait remplacé au pied levé l’un de ses collègues, car il voulait rentrer à Toulouse voir son épouse malade, et l’un des passagers, embarqué à Dakar, se rendait aux obsèques de son père. 

Les corps et le courrier (sept sacs sont intacts et trois éventrés) seront redescendus avec difficulté dans la vallée les jours suivants. Le 28 Mars, une cérémonie émouvante à la mémoire de l’équipage se déroule à Toulouse, en présence du Directeur Général d’Air France. L’équipage est cité à l’ordre de la nation (photo 9). 

77 ans plus tard 

Le travail administratif en amont d’une opération de recherche d’épave d’avion est considérable: le propriétaire du terrain doit donner son accord par écrit, en l’occurrence, la mairie. Le feu vert du service archéologique de la Direction des Affaires Culturelles est aussi nécessaire: un dossier complet est préparé et envoyé à la DRAC de Montpellier, décrivant le contexte historique, l’objectif de l’opération, les moyens utilisés, la cartographie, et l’autorisation du propriétaire du terrain. 

Le jour J, un guide de montagne local nous emmène (photo 10) : plus de 3 heures de marche avec un dénivelé de 600 mètres seront nécessaires pour atteindre le site de l’accident. Le même parcours est effectué pour revenir : une randonnée pour montagnard aguerri !

Sur Place 

De nombreux vestiges dans un état de conservation remarquable sont retrouvés et nous rappellent le destin du « Ville de Toulouse ». Des éléments de structure sont parfois posés à même les pierriers (photo 11), des composants d’équipements sont découverts, (photo 12 ), certaines pièces portant encore la plaque des fournisseurs : Bronzavia, Labinal (photo 13 14 ). 

Les éléments de l’avion, tels cette trappe de visite, ont été terriblement tordus et laissent deviner la violence du choc (photo  15). 

Voici une goulotte (photo 16 ) (un cabochon) qui guidait des câbles des commandes de vol pour  éviter qu'ils ne frottent sur l’extrado de l'aile.

Un cadran du tableau de bord (photo 17), avec au dos une calligraphie typique des années 30’s (photo 18 ). 

Les marquages retrouvés sur certaines pièces sont des mines d’informations (lire encart 1);

Quelques vestiges d’objets personnels sont aussi découverts, émouvants témoignages de vies brisées: des tessons de bouteille, un fragment de peigne  (photo 19  20).  

Un travail de mémoire 

L’objectif étant de faire revivre les machines oubliées et leurs équipages, le respect est  omniprésent dans notre démarche; C’est dans cet esprit que nous retrouvons et prenons contact avec le fils du navigateur et la petite fille du pilote. Divers documents et des photos sont partagés avec eux, contribuant ainsi à rappeler à la mémoire ce Dewoitine 338 tragiquement disparu un soir de mauvais temps dans les Pyrénées Orientales avec son équipage et ses passagers.  

Les vestiges retrouvés seront conservés dans cet esprit de mémoire; Leur rareté leur confère une valeur historique certaine, car le Dewoitine 338 ne fut construit qu’à 31 exemplaires. Ils sont exposés dans le musée « Aéroscopia » qui possède déjà une splendide maquette de D338 (photo 21), aux côtés d’une enveloppe « premier jour » de 1987 (photo  22). 

En outre, un fuselage de D338, récemment retrouvé, est en cours de restauration dans ce même musée. C’est l’association de passionnés, l’Aérothèque qui gère ce travail. Ce fuselage fut retrouvé et sauvé car il servait de cabane pour abriter les chasseurs dans le Sud Est de la France. 

Plusieurs  passions seront ainsi réunies : celle de l’aviation, des hommes qui lui ont donné ses lettres de noblesse, l’Histoire et la philatélie. 

 

Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Remerciements : Claude Leymarios, Michèle Lindenburn, la famille Carretey, la mairie de Corsavy, « Aeroforums » et ses acteurs, et l’équipe des amis qui a permis de mener à bien cette découverte.

 

MINI DOSSIER 1

LES MARQUAGES

Les marquages et les poinçons observés sur les pièces retrouvés sont des mines d’information surprenantes. Leur décryptage est facilité par les forums sur lesquels les passionnés d’aéronautique dialoguent. Ces experts, souvent spécialisés dans leur propre domaine, permettent de déchiffrer ces marquages et de comprendre le contexte de fabrication d’une pièce, et du coup l’historique d’un avion. 

Par exemple, (photo 23), le logo « SAF » sur cette pièce de structure signifie « Société Aéronautique Française ».  La SAF était la société propriétaire des avions Dewoitine. Elle fut créée le 14 mars 1928 et mise en liquidation judiciaire en avril 1937, lors de la nationalisation qui mena à la création de la SNCAM (Société Nationale des Constructions Aéronautiques du Midi). Il est vraisemblable que les poinçons "SAF" furent utilisés postérieurement à mars 1937 par la SNCAM.

Le logo « BV » à l’envers signifié « Bureau Véritas ».

Cette trappe (photo 24) comporte à son extrémité inférieure gauche un verrouillage de marque « Chobert » (photo 25):  Il s'agit d'un clip de fixation d'une trappe de visite (brevet français 798629). Cette trappe circulaire était mise en place avec une légère rotation pour engager les rivets à embase et son verrouillage était assuré par un linguet. Fixée au revêtement sur un bras articulé, elle était imperdable.

 

Il est amusant de savoir que la société Chobert était initialement un fabricant d'armes et de cycles à Saint-Etienne, qui se diversifia dans l'aéronautique dans les années 20. Elle fabriqua un système de fixation et de réglage des haubans, que l'on trouvait en abondance dans les biplans. Par la suite, elle produisit différents systèmes de fixation, et développa le premier pistolet de rivetage pneumatique (la publicité disait 1200 rivets posés à l'heure), qui commença à être employé dans l'industrie aéronautique en 1936, et à grande échelle en Grande-Bretagne pendant la guerre. Les rivets "système Chobert" équipaient largement les avions Morane Saulnier, jusqu'au MS 406, et les rivets Chobert existent toujours aujourd’hui.  

 

MINI DOSSIER 2

Le dossier administratif

Pour chaque avion faisant l’objet d’une «  prospection inventaire », un compte rendu détaillé est envoyé au service archéologie de la DRAC. Il décrit le contexte historique, les pièces retrouvées, une analyse de celles-ci, une cartographie, et le cas échéant des annexes : rapport d’accident, coupures de presse, photos. 

 

ENCART 3

Une découverte étonnante !

Quelques semaines avant la publication de cet article, notre réseau de passionnés nous prévient : un fuselage de D338 vient d’être retrouvé. Servant de cabane de chasse dans le Sud Méditerranéen, ce large tronçon a traversé les années et est parvenu jusqu’à nous (photos 26 et 27 ). Un projet de restauration pour cette pièce rarissime est en train de se mettre en place, et la région de Toulouse vient de faire revenir ce fuselage sur son lieu de naissance…